La jungle d’informations (et d’effets d'annonce) est intarissable en matière de viticulture durable et mes recherches m’ont conduite à une foule d’interprétations du vert, qui n’ont rien à envier à celles d’E.L. James à propos de Christian Grey.
Même si son livre n’a pas provoqué la passion en moi (il faut dire qu’à l’époque, j’en étais aux préliminaires de mon aventure avec le vin), en tant que vigneronne candide, je me suis sentie légèrement dépassée par des termes comme biologique, durable, raisonnée, biodynamique et les différentes certifications et interprétations. Plus j’avançais dans ma découverte, plus je réalisais que les pratiques agricoles ne se résument pas en noir et blanc, mais plutôt en des nuances de gris... ou plutôt de vert.
Le bio a pris l'initiative en matière d’étiquetage et les consommateurs croient savoir en quoi cela consiste. Mais le savent-ils vraiment ? C’est là un tout autre débat. Cependant, il est indéniable que le bio est à l’avant-garde en termes de visibilité, même si sa définition présente de nombreuses nuances. Il est trop facile (et courant) de classer les vignobles en deux catégories : ceux qui sont verts parce qu’ils sont biologiques (ou biodynamiques) et ceux qui ne le sont pas, et par conséquent, s’adonnent obligatoirement à des pratiques douteuses dans des lieux obscures.
Alors que je creusais pour savoir quelle orientation donner à Château George 7, j'ai découvert une palette de teintes, toutes plus méritantes les unes que les autres. Le vert olive ou le vert sauge est-il meilleur que le vert menthe ou le vert citron ? Exactement !
À Bordeaux, nous sommes confrontés aux enjeux liés à une forte pluviométrie, auxquels les vignobles situés plus au sud de la France ou dans d’autres régions du monde n'ont pas à faire face. Par le passé, pour combattre cette humidité, de nombreux viticulteurs bordelais pulvérisaient à dates précises, sans tenir compte de la nécessité, et avec un dosage inutilement fort. À présent, quasiment tout le monde s’accorde pour dire qu’éliminer ou réduire au minimum les traitements chimiques et les pesticides en les remplaçant par d’autres méthodes naturelles est parfaitement sensé. Mais l’agriculture bio est-elle le bon choix ?
Il reste encore beaucoup à apprendre de l’utilisation de traitements à base de cuivre (comme par exemple, la bouillie bordelaise), utilisés dans l’agriculture biologique et que nous utilisons nous aussi, qui demeurent à la surface du pied. En 2018, le taux annuel de cuivre recommandé par hectare a été réduit à 4 kg. En effet, une concentration excédentaire de cuivre nuit aussi aux sols et dans le cadre de la quête d’une approche écologique, il est parfois utilisé à des doses trop fortes. Celles-ci compromettent la santé des sols, les agriculteurs étant forcés de pulvériser plus fréquemment en raison des pluies qui lessivent le traitement des pieds de vigne. Selon certains experts auxquels j’ai parlé, la question de savoir si notre climat nous permettra de conserver cette nouvelle limite sur le long terme n’est pas encore tranchée. En effet, des pulvérisations plus fréquentes requièrent un plus grand nombre d’heures de passage des tracteurs dans les rangs de vigne, ce qui compacte le sol et contribue à la pollution, en raison des émissions de diesel. Pas si simple, n’est-ce pas ?
J’ai décidé que mes principes m’orientaient davantage vers un développement durable au sens large et c’est ce que j’essaye d’accomplir. La définition générale du développement durable est la suivante : « il s'agit d’un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». J’y ajouterais également l’amélioration des terres et la qualité en général. Pour moi, ces principes s’appliquent au vignoble et au chai, de la vigne au conditionnement.
Je souhaite non seulement protéger mon vignoble, mais également favoriser sa prospérité et son épanouissement. Je veux produire des vins qui sont bons et redonner davantage à la nature que je n’en retire. Je suis simplement une maman relativement bien informée, soucieuse de la santé en général, et je vis au milieu de mes vignes. Je respire donc tout ce qui les entoure et je manipule tous les produits que nous utilisons dans le chai. Je veux ce qui est raisonnable pour le présent et aussi pour l’avenir. Il s’agit pour moi d’adopter une vision globale et de déterminer comment Château George 7 peut s’inscrire dans le développement durable dans plusieurs domaines. Je ne veux pas me contenter du cocher une case verte en étant un vignoble « sans produits chimiques ».
Je ne suis pas seule à penser qu’être « vert » ne signifie pas simplement l’élimination des produits chimiques. En fait, il faut tenir compte de trois domaines : l’environnement (évidemment), l’économie et le social. Le poids de chacun de ces domaines en termes d’importance dépendra de l’état d’avancement d’un vignoble sur le plan de son développement, ainsi que de son contexte. Par exemple, la gestion de l’eau est plus pertinente dans certaines régions viticoles du nouveau monde, mais moins problématique pour l’AOC Fronsac, où l’irrigation est interdite. J’ai donc longuement réfléchi à ce que je devais accomplir dans ces trois domaines pour m’assurer que mes vignes continueraient à prospérer dans 150 ans et plus :
L’environnement : quand j’ai hérité de mes vignes de 35 ans, elles avaient vraiment besoin d’attention. Chaque année, nous nous efforçons de rendre plus que nous ne prenons, aussi naturellement et délicatement que possible. Cela peut paraître étrange, mais apporter des changements drastiques peut mettre les vignes en état de choc. Voici quelques exemples des mesures que nous avons prises, qui donnent la priorité à la santé durable des sols et des vignes :
- Nous avons planté des haies et des arbres pour encourager la biodiversité, afin de pouvoir rétablir et entretenir le cycle naturel de la flore et de la faune et trouver des moyens de lutter contre les parasites.
- Nous faisons appel à la « confusion sexuelle » pour limiter le nombre de vers de la grappe. Les phéromones perturbent les mâles, ils ne s’accouplent pas et par conséquent, leur progéniture réduit en nombre.
- Nous plantons des couverts végétaux (il s'agit de cultures secondaires plantées entre les pieds de vigne) qui servent de leurres pour les prédateurs, fixent l’azote et enrichissent les sols lors du labour.
- Nous achetons des bouteilles plus légères et donc plus écologiques en termes d’empreinte carbone.
- Mon Millésime 2018est fermenté à l’aide de levures indigènes et sa teneur en sulfites sera inférieure aux limites recommandées pour les vins rouges produits par une agriculture biodynamique, c’est à dire 70 mg/l. Le maximum autorisé par les principaux organismes du secteur de l’agriculture biologique est de 100 mg/l.
Économie : ces mesures en faveur du développement durable peuvent donner l’impression de vouloir seulement améliorer la situation financière de l'agriculteur / l’agricultrice, mais si le vignoble ne gagne pas d'argent, tous ceux qui en vivent souffrent.
- En 2018, la région a rencontré de réels problèmes de mildiou. Ainsi, quelques vignobles bien connus de la rive droite ont pris la décision d’abandonner leur conversion en certification bio en procédant à un traitement contre le mildiou pour sauver leur récolte. J’ai eu de la chance car je n’ai pas été touchée.
- Il convient de préciser que si un vignoble utilise des traitements phytosanitaires pour sauver une récolte, il existe désormais des connaissances et des outils pour veiller à les diluer au minimum pour en assurer l’efficacité. En France, on impose un laps de temps compris entre 45 et 60 jours (selon le produit) entre une application et la récolte des fruits, une réglementation qui n’existe pas dans de nombreuses régions du nouveau monde. Il est impossible de supporter la perte de la majorité ou de la totalité d’une récolte année après année. L’entreprise ne pourra pas survivre s’il n’y a pas de vin à vendre ou si les rendements sont trop faibles pour permettre de payer les factures ou le personnel, a fortiori d’investir dans l’avenir du vignoble. Les producteurs qui ont des marges élevées et peuvent tolérer une ou deux années de production faible, voire inexistante, sont en minorité. La plantation de haies pour encourager la biodiversité ou l'installation d’un réservoir de collecte des eaux de chai pour les recycler est coûteuse.
- Il est essentiel pour optimiser les rendements et les niveaux de maturité, aussi bien pour le présent que pour l’avenir, d’évaluer si les cépages sont adaptés au terroir et d’effectuer les changements majeurs nécessaires pour rester en harmonie avec le climat.
- Un autre élément fondamental est de trouver un équilibre entre la qualité et l’investissement. Pour Château George 7, j'ai pris la décision, qui semblait logique, de commencer modestement, mais aussi de collaborer avec un voisin en le laissant travailler un hectare de mes vignes en échange de travaux de tracteur. Je pouvais ainsi investir davantage dans les parcelles restantes, équiper le chai du meilleur matériel possible avec mes moyens et gérer les vignes aussi délicatement et naturellement que possible, afin de produire une plus petite quantité de vin de meilleure qualité.
Social : l'impact social d'un vignoble sur les employés et les voisins et la vie en harmonie avec eux sont des éléments clés du développement durable :
- Maintenant que je me suis installée définitivement à Château George 7, je me concentre sur mon intégration dans la communauté et je m’efforce de participer au soutien et à la promotion de la région de Bordeaux et de l’appellation Fronsac. Désormais formatrice accréditée par l’École du Vin de Bordeaux, je contribue à enrichir la communication sur la qualité des vins de #Fronsac. Ces activités procurent une plus grande visibilité et une meilleure compréhension de ce que nous produisons et aideront nos vins à concurrencer d'autres régions de l’ancien monde et du nouveau monde dans les années à venir. Comment peut-on dire qu'on soutient le développement durable si on ne fait pas partie de sa communauté et qu'on ne s’implique pas dans son évolution pour l’avenir ?
- Dans certains pays viticoles en voie de développement, les viticulteurs contribuent au financement de formations et de l’éducation des ouvriers viticoles et de leurs familles, pour soutenir le développement durable. Cela n’est pas pertinent dans ma situation. Toutefois, j’explore des moyens de soutenir d’autres femmes qui souhaitent franchir le pas seules et se lancer dans le vin, en plantant ou en achetant un vignoble, comme je l’ai fait après 50 ans, pour débuter un nouveau chapitre de leur vie. Si vous pensez que cela vous concerne, n’hésitez pas à me contacter et je vous apporterai mon soutien dans tous les domaines qui relèvent de mes compétences. #winementor
Malgré ma réticence initiale à me retrouver entravée par une « étiquette », je crois à une approche holistique du développement durable et je suis également convaincue qu’il faut aider les consommateurs à mieux comprendre la production du vin. Je me suis donc lancée dans une certification qui met en avant des valeurs larges en termes d’environnement et de développement durable. Il s’agit d’un programme national intitulé Haute Valeur Environnementale (HVE) et le tout premier audit a permis de confirmer que nous nous situons déjà au plus haut niveau, le niveau 3.
Par conséquent, j’ai hâte, début 2020, de recevoir une reconnaissance qui encouragera la discussion et la transparence sur les méthodes de travail des vignobles pour un avenir durable.
En l’absence d’un nuancier qui permettrait d'interpréter les 50 nuances (ou plus) de vert, que pouvez-vous faire pour en savoir plus sur ce que contient votre verre ? Je vous conseille d'apprendre à connaître votre producteur. Allez au-delà de l’étiquette et parlez-lui de se qui se passe en coulisses. Ne fustigeons pas (pour revenir à Christian Grey) ceux qui n’ont pas opté pour le bio, mais essayons plutôt de comprendre les actions globales du viticulteur pour faire un vin dans un vignoble réellement durable.
Pour conclure, j'aurais grand plaisir à vous expliquer en plus amples détails ce que nous faisons dans les vignes de Château George 7 et ce qui entre dans la composition de notre vin. Puis il vous faudra le goûter et décider de la nuance de rouge qui met vos sens en éveil.
Comme le dirait Christian Grey, ce sera pour moi un immense plaisir.
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